rendre compte des changements dans le quartier vu par les habitants

Le projet "saisir le changement" évolue !


Retrouver la vie quotidienne du quartier, ses habitants et les changements qui s'y font sur un nouveau site : saisir le changement

mercredi 29 septembre 2010

Nathalie Mascio, savoir se repérer







Nathalie Mascio est née le 28 décembre 1969. Elle a vécu la première partie de sa vie à Sierck les bains.

Recueillie et adoptée à l’âge de trois ans avec son frère Yves par Alice Charton, Nathalie a grandi avec six frères et sœurs.

Aujourd’hui, Nathalie vit avec la fille ainée de madame Charton, Bernadette qui l’a élevée depuis la mort de sa mère, à l’âge de soixante dix ans. Elles habitent rue Château-Jeannot, ce qui n’est pas la côte des roses. Les immeubles sont plus récents et les appartements plus grands.

Trois matins sur sept, Nathalie se rend à pied derrière le stade de Guentrange pour prendre le bus qui l’emmène au C.A.T (un E.S.A.T aujourd'hui) de la vallée à Sérémange. Quand elle avait encore un chien Nathalie se levait à cinq heures pour le sortir à six. Aujourd’hui elle se lève toujours aussi tôt et prépare son petit déjeuner pour être au stade à sept heures et demi et attraper le bus dix ou le onze qui part à huit heures quinze : Nathalie aime prendre son temps. Il y a de l’ambiance dans les bus et c’est même parfois trop bruyant.

La semaine suivante, elle travaille seulement deux jours, et soit elle va au soutien qui est organisé au Vert-coteau, le C.A.T de la Côte des roses soit elle fait un tour au G.E.M , le groupe d’entraide mutuel rue du four banal au centre ville. Nathalie n’aime pas rester sans rien faire. Alors, quand il n’y a plus rien à faire à la maison, elle sort promener le chien de Brigitte. C’est en sortant le sien qu’elles se sont rencontrées et qu’elles sont devenues amies. Brigitte et Nathalie à l'atelier linge

C’est madame Alice qui l’avait inscrite la première fois au C.A.T. Elle avait visité celui de Bertrange et l’ambiance lui avait plu. Elle est très manuelle et en ce moment elle fabrique des palettes légères, des plateaux. Il s’agit de bien choisir les lattes de bois, les plus belles à l’extérieur les autres au centre, de bien respecter les écarts et d’assembler le tout avec la cloueuse avant d’empiler les plateaux finis.

Au C.A.T, il y a ceux qui aiment faire la fête. Mais ce n’est pas le Bal à Jo. Soit on bosse soit on fait la fête et pour Nathalie la fête, c’est Noël, avec le directeur et les éducateurs tous ensembles.

Mais il faut faire attention à ce que l’on dit pour ne pas fâcher les gens, le respect c’est donnant-donnant : « vous me respectez, je vous respecte ». La politesse, madame Charton la lui a apprise quand elle était petite : il n’aurait pas fallu qu’elle oublie de saluer quelqu’un dans la rue à Sierk, elle aurait reçue une taloche à la maison. Madame Alice lui a aussi appris que dans la vie il faut faire des choix et ne pas trop se plaindre : elle disait toujours qu’elle trouverait plus de pain noir que de pain blanc sur son chemin.


à droite sur la photo, Nathalie et Bernadette Charton à la fête des voisins 2010 (photo RL)

Nathalie a eu beaucoup de mal à quitter Sierck : elle aimait surtout la nature toute proche. Cela fait quatorze ans qu’elle vit en ville et elle aime encore marcher : comme pendant les marches d’orientation de sa jeunesse elle se repère en regardant en l’air. Il suffit de repérer les bâtiments qui ne changent pas, la mairie, le clocher des églises.


Le soir, Nathalie se sent seule. Heureusement il y a le théâtre.

Au soutien du Vert-coteau, une troupe rassemble deux membres de chaque C.A.T de la région et tous répètent régulièrement. Cette année ils ont monté un spectacle mais Nathalie n’a pas pu participer à la représentation du 7 mai dernier au Théâtre en Bois à Thionville. Sinon, elle qui ne lit pas facilement arrive parfaitement à retenir son texte. Et puis elle parle mieux qu’avant. Martine l’éducatrice leur avait dit que s’ils n’arrivaient pas, ce n’était pas grave mais petit à petit ils y sont arrivés. Maintenant elle aimerait apprendre à écrire, pour pouvoir écrire à un ami.



la troupe ensemble (photo ville de Thionville)



Marcelle Pouyet, l'époque des familles nombreuses.


Marcelle Pouyet est née à Chatillon dans l’Indre en 1921. Son père était gendarme. Marcelle a seize ans quand elle perd sa mère. C’est elle qui s’occupera de sa famille désormais.

Elle a vingt trois ans quand, en août 1944, les allemands en retraite passent dans la ville et fusillent à la Riperie, plusieurs garçons de son âge parmi les maquisards.

Elle quitte l’Indre après la fin de la guerre avec son mari et sa fille ainée, pour s’installer à Jargeau, dans le Loiret. Marcelle y donnera naissance à sept enfants en onze ans.

Le fleuve était juste de l'autre côté de la route, au pied de l'immeuble où ils vivaient. Marcelle attachait ses enfants avec une ficelle à une gouttière, de peur qu’ils ne tombent dans la Loire.

M. Pouyet travaillait comme ouvrier à «la Française de route» mais les salaires qu’offrait la sidérurgie dans les années 60 le décideront à rejoindre la Lorraine. Il travaillera à la cokerie d’Ebange pour Sollac. La famille débarque donc à la côte des roses, les immeubles sont à peine sortis de terre mais l’appartement est luxueux : six chambres, une salle de bain et les W.C à l’intérieur. Ca change du quarante huit mètres carrés où s’entassait la famille à Jargeau. Dans l’immeuble on comptait plusieurs familles nombreuses, il y avait tellement d’enfants que les gens formaient une grande famille et que l’entraide régnait. On trouvait toujours une voisine pour surveiller les gosses le temps d’une course et même pour partager les repas : quand on en fait pour huit… Mais huit enfants c’est beaucoup, et si madame Pouyet avait eu le choix elle se serait contentée de deux.


Mais voilà, à l’époque on ne savait rien du tout de ces choses là et on ne parlait surtout pas de contraception. Plus tard, Marcelle Pouyet élèverait trois de ses petites filles et le jour de leurs premières règles, elle leur dirait que si elles voulaient savoir quelque chose, elle les accompagnerait chez le médecin. La génération de Marcelle ne dialoguait pas avec ses parents et ceux-ci se cachaient pour tout. Il n’y avait pas de télévision pour s’informer et les mères ne disaient rien sur ces sujets.

En plus à l’époque, quand on était enceinte, on ne savait jamais à l’avance quel serait le sexe du bébé, ni combien on en aurait. Aussi quand on lui a annoncé un jour qu’elle avait des jumeaux, Marcelle Pouyet a laissé éclater sa joie. « Pauvre imbécile » lui a dit son mari qui savait quel surcroit de travail cela représentait. Sur ce plan là Marcelle avait de la chance car son mari prenait sa part des tâches ménagères. La lessiveuse à bouillir dans la cuisine après avoir frotté le linge sur une planche en bois. Le rinçage à grande eau et tous ces langes qu’il fallait laver. C’est que les couches jetables pour bébés n’existaient pas non plus. Les bébés étaient entourés d’une couche, d’un linge intermédiaire et du lange, tout ça sans épingles à nourrice et il fallait bien saisir le bébé sinon il aurait glissé à terre en vous laissant les couches dans les mains. La lessive était une corvée permanente.

Pourtant, la première chose que les Pouyet achèteront rue Molière, ce n’est pas une machine à laver mais un poste de télévision. Tout ça à crédit bien sûr.

Madame Pouyet a quitté le rez-de-chaussée que la famille occupait depuis son arrivée pour un appartement plus petit au premier. Son mari est mort en 1991 d'un emphysème, conséquence probable d'un accident du travail jamais indemnisé : il a été le dernier de ses collègues gazés à décéder.

La rénovation du quartier a amener le bailleur à transformer les grands six pièces du dessus en trois pièces et cela fait plus de bruit et moins de stabilité dans l’immeuble. Des douches ont étés installées et on a changé l’évier des cuisines.

Mais l’exécution des travaux laisse à désirer, il y a toujours un trou pas rebouché ou un morceau de lino pas posé. Et les ouvriers ne sont jamais responsables parce que ce n’est pas eux qui l’on fait. Madame Pouyet a même subi une inondation dont la suite n’est toujours pas réglée faute d’une signature d’un responsable sur un papier que le bailleur doit transmettre à l’assureur : dans une chambre du fond se trouvait un lavabo inutile. Les ouvriers ont trouvé le moyen de l’arracher du mur sans couper l’eau : on peut imaginer les dégâts.


l'accès au dos de l'immeuble est fermé pour protéger le terrain des boulistes mais le champ du noyer, propriété de la ville est laissé à l'abandon et jamais plus fauché car inaccessible.

Il y a aussi le noyer derrière l’immeuble : aujourd’hui il est inaccessible car l’association des boulistes en a condamné l’accès. On a toujours peur que le linge qui sèche de ce côté-là ne tombe et soit irrécupérable. Sinon l’entraide existe encore, M.Vagli lui monte toujours le journal après avoir rempli la grille de sudoku, Marcelle n’y connaît rien en jeux, et madame Palz lui apporte son pain tous les matins avant de revenir le soir pour l’aider un peu avant le coucher.

Mesdames Palz, Lambolez et Bianchi-haut




mardi 28 septembre 2010

Bruno Baldelli: de l'Ombrie à la Lorraine

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Bruno et Bruna Baldelli ont habité le square Fénelon à Thionville à partir du 1er décembre 1962. Bruno a vingt cinq ans et déjà deux enfants de 8 et 6 ans. Quand Bruna l’a rejoint en décembre 1957, c’est à Waldvisse qu’il a trouvé une maison en attendant un logement H.L.M. Il travaille déjà comme cokier à Sérémange et il parcourt 80 km chaque jour pour aller travailler : au début, en vélo, levé à deux heures pour prendre son poste à cinq heures du matin puis en mobylette et enfin en Vespa. Et l’hiver, quand la Vespa commence à partir sur le verglas et qu’il se retrouve les fesses par terre au milieu de la route, c’est casse-cou et heureusement, à quatre heures du matin, il n’y a pas de circulation.


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Bruno Baldelli vient d’une famille de fermiers de Perugia, en Italie La vie à la ferme était dure. Non seulement il fallait partager le produit des terres avec le propriétaire, une part pour lui une part pour la famille de huit enfants mais en plus il fallait travailler comme fermier sur les terres que le grand-père avait perdu aux cartes.

Aussi, quand il entend parler de recrutement pour de Wendel, Bruno part à Milan passer deux jours d’examens et de test médicaux avant d’être enrôlé et de prendre un de ces trains pour la France, rempli de garçons comme lui.

Arrivé en lorraine il va quitter assez vite de Wendel pour Sollac et jusqu’en 1985 Bruno va travailler à la transformation du charbon en coke.

Alimenter le four en charbon dans une ambiance surchauffée, il faut aimer ça et ne pas avoir peur de la poussière. Il fallait pilonner le charbon avec six énormes pilons pour le réduire en briques avant de le cuire pendant 17 heures en récupérant les produits dérivés du charbon, gaz, goudrons, benzol.

Fichier:acier.jpg Puis, il fallait refroidir le coke avec de l’eau sous pression avant de l’acheminer vers les hauts-fourneaux où, mélangé au minerai de fer, il devenait de la fonte d’acier.

Son temps libre Bruno le consacrait au jardinage. Toutes ces années, il a loué des jardins à la Malgrange, derrière St François et jusqu’à Yutz, à l’emplacement du garage Peugeot d’aujourd’hui. Il cultivait la terre la nuit, dormait trois où quatre heures et repartait à l’usine. C’était à la fois un plaisir et un moyen d'améliorer l'ordinaire car sa femme et lui étaient d’accord pour que leurs enfants, au nombre de trois à présent, puissent faire des études.

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Bruna garde des enfants à la maison et jusqu’à sa disparition le 22 novembre 1998, elle aura accueilli vingt huit enfants différents, de l’âge de trois mois à quatre ans.

Sa retraite anticipée en 1985 n’a pas changé les habitudes de Bruno. Il a continué à jardiner et à bricoler à droite à gauche pour rendre service.

Depuis deux ans il participe aux préparatifs de la St Fiacre et c’est ce qui l’a amené à travailler bénévolement pour le collectif humanitaire thionvillois. Il aide à collecter des meubles qui sont mis en vente à petit prix dans les locaux de l’association, au 12 rue Cormontaigne pour les gens envoyés par le C.C.A.S.[1]


L’hiver, il donne aussi un coup de main à la banque alimentaire dans la cour du Sémaphore.

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Deux mardi dans le mois, les bénévoles rassemblent les dons alimentaires de toute la région au Sémaphore à Thionville.

Les gens en difficulté s’inscrivent à la mairie. Chacun a un numéro d’appel puis pénètre à tour de rôle dans l’épicerie solidaire pour faire ses courses.

Bruno s’occupe de l’ensachage. Il est content de donner de lui-même. Les gens qui viennent se connaissent à la longue et tout le monde s’accorde, personne n’est là pour juger.




M. Gérard Schanne tient la caisse de l'épicerie solidaire

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Aujourd’hui, quand il n’est occupé à donner un coup de main il est peut-être au Maroc où s’est mariée sa fille Ada après ses études ou encore à Rome où vivent ses frères et sœurs. Le Maroc, Bruno en avait une idée préconçue pas très favorable mais il ne peut que se réjouir de l’accueil qu’on lui fait là-bas, les gens sont si bienveillants et agréables. Les premières années il voyait qu’ils avaient peur de parler, il était interdit de rester à discuter à deux ou trois. Mais, depuis l’accession au trône de Mohamed VI les choses ont changé.

Quand il pense au passé, Bruno se revoit encore dans les champs à quatre heures du matin :

il a cinq ou six ans et il marche devant le double attelage de bœufs qui tirent la charrue que son père guide dans le sillon.


lundi 27 septembre 2010

Fabienne Germonprez : laisser dire.






Fabienne Germonprez n’habite plus la côte des roses. Depuis 2002 elle s’est installée dans un studio rue Mozart, de l’autre côté de la chaussée d’Océanie. Elle a aujourd’hui cinquante et un ans.

Avant elle partageait le logement familial rue du Pic vert. Elle a été la dernière des enfants à quitter la maison.


A dix sept ans elle a obtenu son diplôme de l’école ménagère au collège de la Milliaire : de bonnes bases en puériculture, en cuisine et en couture.

Fabienne trouve rapidement un emploi dans une famille bourgeoise de la ville où elle va passer dix sept ans entre le ménage, la cuisine et le service à table car ses employeurs reçoivent beaucoup.

Sa patronne a des exigences particulières en matière de ménage : le sol doit être lavé à quatre pattes, hiver comme été. Qu’importe, Fabienne a une bonne constitution. Elle ne proteste pas.

victoire au tournoi d'Amnéville en 1985

Fabienne se cache dans cette image: saurez-vous la retrouver?

Elle fait du sport, de la plongée à Terville et du football féminin à Guénange. De vingt à vingt cinq ans elle ira en vélo s’entrainer deux fois par semaine à Guénange avant de pouvoir s’offrir une petite moto Honda.

Mais voilà, tant de temps passé sur les genoux à récurer le sol même quand il est gelé vont avoir raison de sa santé. Fabienne souffre d’arthrose dégénérative et elle a de plus en plus de mal à remplir sa tâche. Dans les années quatre vingt dix elle s’occupe en plus des enfants d’une autre famille pendant quatre ans mais, en 1995, elle jette l’éponge. Elle n’en peut plus et démissionne, une façon de se rebeller contre sa patronne qui ne veut pas la laisser partir.

Elle n’a plus de revenus et en attendant l’obtention d’une allocation d’adulte handicapée (A.A.H), elle touche le R.M.I. c’est là, en 1998, qu’elle découvre l’atelier linge de la chaussée d’Océanie et ses activités.


Ensuite Fabienne ira aux réunions du lundi après midi du Lierre, avenue de Guise. Elle garde un bon souvenir du voyage qu’elle avait fait avec le centre. C’était l’occasion de voir des gens et de discuter avec eux.

Fabienne devra demander trois fois l’A.A.H avant de l’avoir. Quand on demande cette allocation, on doit passer devant un jury de six personnes qui vous détaillent sous toutes les coutures et vous demandent

«pourquoi demandez-vous l’A.A.H ? ».

La première fois elle ne pouvait déjà plus se baisser mais elle n’a pas osé raconter les années de ménage à quatre pattes.

Il lui a fallu refaire une demande un an plus tard quand son état a empiré. Finalement la troisième fois, ils l’ont envoyée faire un stage en atelier protégé pour tester ses possibilités d’emploi.

Elle a du aller au centre d’aide par le travail de St Julien pendant quinze jours. Fabienne a été obligée de s’arrêter trois semaines mais elle était une des seules à avoir terminé son stage après son arrêt médical. Elle touche 700€ par mois.

Aujourd’hui elle se déplace à pied où en bicyclette. Elle avait l’habitude de rouler avec des vélos d’hommes mais maintenant elle a besoin d’un vélo adapté à ses problèmes de genoux : un vélo de grand-mère.

Mais si elle a besoin de faire de l’exercice, rouler en vélo est aussi dangereux : l’an passé elle s’est fait renverser par une automobiliste ouvrant sa portière au moment où elle passait. Comme elle allait chercher son neveu à la sortie de l’école, elle n’a pas attendu qu’on appelle le Samu : elle est vite repartie mais elle a souffert de sa chute pendant plus d’une semaine.

Depuis qu’elle a l’A.H, Fabienne a du mal à joindre les deux bouts. Elle a rencontré les assistantes sociales de la ville et demandé une aide pour payer son gaz et son électricité. Il lui est arrivé d’aller aux Restos du cœur mais elle pense qu’elle a dépassé le plafond avec son allocation. Elle a encore droit à la banque alimentaire. C’est deux fois par mois au Sémaphore.

Elle a été aussi au secours catholique, une amie des restos le lui avait indiqué mais autour d’elle, il y avait des gens qui visiblement avaient plus de besoins qu’elle. Elle a arrêté d’y aller. « Demander de l’aide au début, c’est dur. Quand vous avez l’habitude d’arriver à vous en sortir c’est gênant et puis vous avez peur que ça soit toujours comme ça après. On vous critique et vous vous sentez rabaissée.

Et puis on laisse dire. »

vendredi 17 septembre 2010

Moulay Elbatal, l'ambassadeur


Quand il est revenu se poser à Thionville, Moulay Elbatal a obtenu un logement tour de la bécasse, à la côte des roses. Il est content car c’est là qu’il a grandi.

Dans sa jeunesse, Moulay avait misé beaucoup. Les éducateurs, après trois tours de quartier entre deux cafés, disaient aux jeunes que grâce aux études, ils allaient pouvoir dépasser les obstacles qu’on trouve sur son chemin quand on vient d’un quartier.


Quand il a compris le symbole du bac et pourquoi il fallait l’avoir, il a laissé le quartier de côté et il l’a eu. Il croyait encore que sa réussite ne dépendrait que de son travail. En fac, Il était sérieux et n’allait pas en boite comme ses collègues, ça, grâce au quartier. Il avait cette maturité là. Il ne voulait pas se mélanger et cela a été mal perçu. Ses notes sont devenues catastrophiques, à l’étonnement de ses collègues.

Mais le déclic s’est produit en cours de journalisme. La professeur a demandé le nom d’un ministre qui s’était suicidé sous la pression médiatique. Pour lui c’était évident, Bérégovoy. La professeur a dit en s’adressant à ses collègues :

"comment il sait ça lui ? ". Il a compris que ces gens avaient des idées préconçues sur lui et que son travail et son honnêteté n’y changerait rien.

Moulay est parti. Il a décidé d’apprendre la vie là où les gens travaillent, en usine, sur les chantiers partout, en intérim. Moulay a de la chance, il pouvait s’appuyer sur sa famille et les valeurs de la religion. La fraternité, le respect des anciens et la fatalité : quand un jeune de la côte se dit qu’il irait bien s’amuser en boite et réalise qu’on ne veut pas de lui et bien c’est simple : il n’y va pas.

Beaucoup ont mal réagi : on leur montre qu’ils ne sont pas intéressants avant même de les connaître :

« tu ne feras rien toi ». Alors, pour devenir intéressant il faut choquer : des meilleurs que lui sont partis en prison.


Oui Moulay a de la chance, il a les mots pour le dire, les autres se détruisent eux-mêmes.

"Une dame qui a besoin de se justifier qu’elle n’est pas raciste, un barman qui annonce le café à cinq franc quand on passe la porte du bar, les gens ne mesurent pas la portée de ce qu’ils disent. On croyait qu’avec le temps ça changerait maintenant c’est grave car ça n’a pas changé.

La conséquence c’est le repli identitaire et le risque pour les jeunes de se faire bourrer le crâne par un fanatique qui ne connaît rien à la religion. L’état fait un débat sur l’identité nationale, c’est bien de susciter l’opinion générale mais pourquoi expulser tant de gens dans le même temps ?

Le décalage est constant : ils viennent nous inculquer des valeurs que nous mettons déjà en pratique et qu’ils ne s’appliquent pas à eux-mêmes."

Aujourd’hui, Moulay travaille à l’hôpital bel-air comme brancardier et ce qu’il a appris dans le quartier il l’apporte à l’hôpital : être plus intelligent que les racistes, il le fait au boulot. Être honnête et authentique, parler avec les anciens, il le fait au boulot.

Les anciens sont réservés, ils connaissent la vie : « montre moi avant de parler ». Ils ont quitté leur pays sans savoir s’ils allaient réussir. Quand il a quitté le Maroc, le père de Moulay ne savait même pas si ses enfants auraient à manger le soir. Ces hommes ont misé sur l’avenir en France et ils ont fait beaucoup de sacrifices. Même leurs enfants doivent leur prouver les choses : son père n’aurait jamais accepté d’argent de lui avant qu’il sache que cela venait de son travail . Sinon il n’aurait rien voulu.

"Les anciens sont contents de ce que la France leur a donné mais c’est aux jeunes qu’il faut montrer l’importance qu’ont leurs parents, ces hommes qui ont accepté de monter les étages à pied quand l’ascenseur était en panne chaque week-end. On a refait les terrains de jeux, c’était la moindre des choses mais la rénovation du quartier s’est faite à l’envers. Personne n’est venu demander aux habitants de la côte des roses qui souhaitait accéder à la propriété ni quelles solutions proposer aux jeunes, aux anciens."










"Et en même temps on voit pousser si vite toutes ces belles villas au bord du quartier qu’on se demande comment c’est possible. Après toutes ces années où on demandait une solution pour les ascenseurs toujours en panne, les cages d’escalier jamais repeintes. On s’est résigné et là on voit ce que l’argent peut faire. Ça fait naitre la méfiance. Si l’argent fait ces belles maisons si rapidement pour les gens qui ont les moyens, on aurait peut-être pu faire un peu plus pour les gens qui habitent les cages à poules."

Là où l’argent fait autorité c’est aux autorités de réguler : les terrains des belles villas auraient peut-être pu être consacrés à reloger des gens du quartier. Le politique montre son manque de force.


"C’est tout un quartier avec son histoire qui risque d’être balayé :

il faut montrer aux gens qu’ils comptent, la fête des voisins ça ne suffit pas :

il faut agrandir la mosquée, ouvrir les magasins que les gens attendent, ça, ça donne envie. Les politiques doivent nous montrer qu’ils ont envie de faire des choses avec nous car nous on est là." La France de Moulay c’est celle des droits de l’homme, des soins pour tous et de l’accueil des exilés politiques. Quand il est au Maroc ça se voit qu’il est français. Les enfants de l’immigration critiquent leur pays d’origine par ce qu’ils l’aiment et qu’ils préfèreraient le voir aussi juste et équitable que les états européens. De même ils critiquent et ils défendent la France."



l'ambassadeur
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Toufikk Mouhssine et Moulay tiennent la sono à la fête des voisins 2010




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